Septembre 2000

Texte extrait de notre journal VBA infos n°4

Le Marais de Rochefort :
DE L'ASSÈCHEMENT A L'ASSERVISSEMENT... AUTOROUTIER

Le Marais de Rochefort est menacé par le projet d'autoroute A831. Mais qui se soucie du Marais de Rochefort ? Qui connaît ses canaux et leurs rives propices aux promenades, ses "îles de terre", ses ressources, ses habitants ?
Or, l'histoire du Marais de Rochefort est intimement liée à celle de ses habitants. Lorsque les uns, imprimant leur marque sous forme de digues et de canaux, modelaient le paysage, n'était-ce jamais sans s'inquiéter des réactions de l'autre ? Même si les hommes y sacrifiaient leurs forces, leur argent, l'assèchement et, partant, l'assainissement se firent pas à pas, en douceur.
Ce paysage qui nous entoure constitue un témoignage unique : celui de la vie de notre campagne au fil des siècles. Pour retracer cette histoire de sueur, d'eau et de sève, nous nous sommes adressés à Monsieur Henri Médion, historien local (Breuil Magné).

V.B.A.-De quelle époque datent les premières traces de l'assèchement du Marais, cette entreprise longue et coûteuse?
Henri Médion : Du Moyen-Age. Quand les moines s'installent à Saint Laurent de la Prée et à La Lance (Breuil-Magné). Ils commencent à endiguer, assainir et exploiter les marais, mais leurs travaux sont fragmentaires et insuffisants. Ce n'est qu'à la fin du XVIe siècle que Henri IV relance "l'assainissement des marais et pallus" de Rochefort par l'Edit du 8 mai 1599.

V.B.A.-Pourquoi cette relance?
H.M. : Les cultures pratiquées sur les îles (terres hautes) ne pouvaient pas suffire aux besoins de la population locale qui devait importer des céréales. La relance de l'assèchement du Marais devait permettre de nourrir les maraîchins.

V.B.A.-Qui va diriger les travaux?
H.M. : Le 15 novembre 1599, un nouvel édit donne l'exclusivité des travaux pour tout le Marais à un ingénieur flamand, Humfroy Bradeley. Celui-ci interviendra d'abord sur les marais de Tonnay-Charente et de Muron qui, avec le marais de la Petite Flandre, fourniront, dès le XVIIe siècle, les céréales à la Marine de Rochefort.
Au XVIIe siècle (6 décembre 1634), un accord est signé avec les descendants de Bradeley pour continuer l'assainissement des marais de Loire, Breuil-Magné et Saint Laurent de la Prée.

V.B.A.-Les travaux de dessèchement se sont-ils fait rapidement?
H.M. : Non, car ils représentaient une lourde charge pour les propriétaires qui devaient faire appel à une mise de fonds importante, suivie de frais d'entretien constants. Ce qui explique qu'au XIXe siècle, ils n'étaient pas encore terminés. La zone était malsaine et les habitants souffraient des fièvres.

V.B.A.-Quelles sont les étapes de l'assainissement du XVIIe siècle à aujourd'hui?
H.M. : Je peux vous les résumer en prenant pour exemple le marais de Loire. Le 2 avril 1718, grâce à un Édit Provincial, le syndicat des marais de Loire est créé. Depuis cette date, il gère le fonctionnement de ce marais. Il est possesseur du Livre des Délibérations à compter du 17 juillet 1854. Il nous est donc possible d'en suivre l'évolution sur les 786 ha (soit 63% de la commune de Loire) qui sont sous sa responsabilité. De 1825 à 1925, une taxe faible permet de gérer le marais, car l'entretien en est réalisé par les exploitants. Mais il y a deux parenthèses dans l'aménagement du marais : les deux guerres mondiales. La guerre de 1914-1918 conduit à l'abandon de l'entretien. Pour y remédier, on multiplie par quatre la taxe en 1925 ( de 2,5F/ha/an à 10F de l'époque) et on peut ainsi faire appel à une main d'oeuvre autre que les maraîchins. la taxe sera portée à 18F en 1935. Après la seconde guerre mondiale, il faut reprendre l'entretien (1945) et instituer de nouvelles taxes pour le récurage (1946) puis pour amener l'eau douce en été (1960). Le syndicat des marais de Loire adhère à l'U.N.I.M.A.(1) en 1950. En 1964, les "levées" qui conduisent aux fermes isolées du marais sont transformées en routes (11 km) avec la participation du syndicat des marais ; début de réalisation en 1967, deuxième tranche en 1969.

V.B.A.-De façon générale, on parle beaucoup de l'I.N.R.A.(2) et de son intervention sur le Marais. Qu'en est-il exactement ?
H.M. : En effet, elle est cruciale et je retiendrais trois dates, caractéristiques de leur action, sans aller plus loin, leurs activités étant plus complexes; En 1964, l'I.N.R.A. s'installe à Saint Laurent de la Prée avec pour mission de valorise le marais. En 1975, il réalise une implantation de maïs dans le marais de Loire (c'est la première culture pour ce marais). En 1978, l'I.N.R.A. reçoit du conservatoire du Littoral un périmètre expérimentale pour étudier l'impact de l'agriculture sur le milieu.

(1) U.N.I.M.A. : Union des Marais de Charente Maritime
(2) I.N.R.A. : Institut National de Recherche Agronomique

UN MARAIS DEJA BIEN BITUME !

V.B.A.-Que pensez de l'impact du réseau routier sur le marais ?
H.M. : Regardons la carte avec les principaux axes routiers qui traversent le marais de Rochefort.
Au Sud, 1 seul grand axe :
è la RD733 qui, après saint-Agnat, se divise vers Royan et Marennes.
Au Nord, 5 grands axes :
è la RN137 vers saintes au Nord-Est;
è l'A837 vers Saintes au Nord-Est;
è la RD911 vers Muron et Surgéres au Nord-Nord-Est;
è la RD5 vers Aigrefeuille au Nord (ancienne voie ferrée);
è la RN137 vers la Rochelle (4 voies).
Peu de villes ont un désenclavement aussi important que Rochefort.
Et, maintenant, on prévoit un autre axe très lourd : la future A831!

V.B.A.-Quelle conséquence pour le marais ?
H.M. : Un marais n'est intéressant que s'il forme une masse importante. Avec l'autoroute, on aura un découpage supplémentaire qui aboutira à de petits enclavements. Or, l'expérience le montre, ces petits enclavements sont abandonnés peu à peu, parce qu'ils sont impossible à cultiver. C'est ainsi que le Marais du Roi, très morcelé, est déjà abandonné Il est en cours de restauration par la Communauté d'Agglomération de Rochefort... aux frais du contribuable.

V.B.A.- Que deviendront les maraîchins ?
H.M. : Pour nombre d'entre eux, ce sera l'abandon pur et simple de la terre ancestrale.