Décembre 2001

Texte extrait de notre journal VBA infos n°7


LES MARAIS DE ROCHEFORT NORD
LEUR DIVERSITÉ BIOLOGIQUE EST UN ATOUT POUR LA VIE

Les marais de Rochefort, apparemment humbles et uniformes, sont d'une importance capitale par leur biodiversité élevée et leur richesse génétique.
Michel Séguignes, de l'Université de La Rochelle et Patrick Duncan développent ces aspects.
Ils n'en oublient ni le rôle historique, touristique ni les ressources qu'ils fournissent à leurs habitants.

Les Marais de l'Ouest : un milieu riche pour les hommes avec des sols productifs pour l'agriculture, de belles prairies humides (certains sont des 'jardins' de Fritillaires au printemps) pour les bêtes domestiques, du gibier, des poissons, coquillages, champignons, et du bois de chauffe. Les fouilles récentes le long de la Charente montrent que c'était déjà ainsi il y a plus de 5000 ans. Et aujourd'hui dans notre monde développé c'est toujours vrai. En plus on a un espace de loisir extraordinaire : ce matin en promenade à cheval le long du Canal de Charras j'ai vu le plus beau Brochet dans les mains d'un pêcheur - 5 kg ! Et ces activités aident à diversifier les revenus des habitants, car le 'tourisme vert' démarre.

Cette richesse biologique des milieux comme les marais (ou les forêts tropicales), une évidence pour ceux qui y habitent, est généralement ignorée car elle est souvent difficile à chiffrer en termes d'argent. Elle commence à intéresser les économistes mais les méthodes sont encore en développement. Et depuis 1992 au Sommet de la Terre à Rio on lui donné l'appellation 'biodiversité' (la diversité du vivant à toutes les échelles d'organisation biologique, génétiques, espèces, paysages, etc.…).

Le territoire des Marais de Rochefort Nord héberge des populations d'animaux, de plantes, et des habitats qui sont importants aux échelles nationales et européennes. Parmi les vertébrés sauvages, les espèces herbivores et granivores sont souvent une ressource intéressante pour l'homme, par leur abondance. Les canards de surface sont un exemple parlant : dans les marais de Rochefort Nord la majorité de ces oiseaux sont cantonnés de jour surtout dans trois réserves où leur tranquillité est assurée : Breuil Magné (170 ha Fédération Départementale des Chasseurs de Charente-Maritime) et Yves ainsi que la station de Lagunage (Ligue pour la Protection des Oiseaux). L'importance de cette protection est illustrée par la réserve de Breuil Magné. Instaurée en 1986 avec l'aide des collectivités territoriales et l'Europe cette réserve accueille environ 5 000 oiseaux en hiver, beaucoup sont des canards de surface mais on peut y voir des raretés comme des Grandes Aigrettes. Yves, en limite des vasières, est remarquable pour les passages impressionnants de limicoles, jusqu'à 20 000. La Station de Lagunage, biologique, est un modèle du genre avec un stationnement d'importance internationale des canards souchets en hiver.

Les prédateurs, situés au sommet de la chaîne alimentaire et donc moins abondants que leurs proies herbivores et granivores, sont souvent les premières espèces menacées de disparition dans des milieux où l'impact de l'homme est fort. Dans les marais, les grands échassiers, comme l'Aigrette sont un symbole marquant des paysages. La Charente-Maritime n'héberge que quelques Bihoreaux et Crabiers, mais les "Hérons blancs" ; l'Aigrette et le Garde Bœuf sont abondants : l'Aigrette est passée de 3 nids en 1970 à plus de 3000 en l'an 2000 (Figure 1). Cette population représente plus du tiers de la population française. Le Garde Bœuf colonise l'Ouest depuis une dizaine d'années : en 2000 il y avait plus de 400 nids en Charente-Maritime.

Pour les grandes espèces, le Héron cendré et le Héron pourpré, le département héberge environ 10 % des populations françaises depuis 25 ans. Notre département est donc d'une importance capitale pour la conservation des "Hérons blancs" et des deux grandes espèces, et le Marais de Rochefort Nord joue son rôle. Ceci est vrai surtout pour le Héron pourpre où la seule colonie de Rochefort Nord héberge la moitié de la population départementale, donc environ 5 % de la population française. La colonie est placée dans un magnifique bois, une "terrée" de plus de 50 ha qui pousse sur les bourrelets construits par les hommes il y a des centaines d'années dans une grande zone inondable du bassin de Charras habitée par des mammifères rares, comme la loutre. Un bel exemple du patrimoine culturel et naturel de notre région. Il est près du fuseau de l'autoroute proposé, et donc menacé directement par les accidents et le bruit, indirectement par le remembrement. Ce bois est reconnu d'intérêt écologique par la DIREN, et un dossier de classement est en cours.

Un autre groupe d'oiseaux intéressants, pour les naturalistes et pour l'écotourisme, est constitué par les rapaces car il est riche en espèces. Leur statut est moins bien connu, sauf pour le Busard Cendré, sujet de recherches par Alain Leroux et Vincent Bretagnolle depuis 15 ans. Les effectifs nicheurs varient fortement dans les Marais de Rochefort Nord, passant de dix nids à 50 (environ 0.5 % de la population Française). Cette espèce est fortement liée au Campagnol (Microtus arvalis), qui montre des cycles d'abondance dans cette région comme dans des milieux nordiques (Figure 2). Malheureusement pour les rapaces, la diminution des prairies dans les Marais, et surtout sur les îles, remet en question ces cycles d'abondance, et donc la population (voire la survie) des Busards dans ce milieu. La même interrogation est valable pour la majorité des autres rapaces, ayant pour proie le Campagnol. Cette richesse avifaunistique dépend du maintien des prairies humides pâturées actuellement menacées par les cultures intensives. En 1986 81 % des Marais de Rochefort Nord étaient en herbe, aujourd'hui moins de 30 %.

En conclusion, les Marais de Rochefort Nord fournissent des ressources et des services à leurs habitants, enrichissant ainsi leur cadre de vie. Ils hébergent aussi des populations importantes d'oiseaux (et également d'autres groupes d'animaux et de plantes) au plan français voire européen. La conservation de cette richesse biologique reposera sur le maintien des grandes surfaces de prairies humides pâturées avec leurs bois relictuels et le réseau de canaux avec sa grande diversité de poissons, amphibiens, invertébrés et micromammifères. La tranquillité des lieux de nidification et de repos diurne pour les oiseaux migrateurs est essentielle aussi. L'impact de l'autoroute sur ces milieux fragiles sera direct (mortalité et dérangement sonore sur au moins 5 000ha du marais), indirect et potentiellement beaucoup plus fort via le remembrement. Cet impact se rajoutera à l'impact des autres activités humaines sur la diversité du marais, notamment l'agriculture intensive. En tant qu'habitant, heureux de vivre en Marais de Rochefort, je vote contre l'autoroute.

Patrick DUNCAN
L'Île d'Albe, Muron

* Du Centre d'Études Biologiques de Chizé (Deux-Sèvres) : ce Laboratoire du CNRS, station de terrain, effectue des recherches sur les vertébrés sauvages dans la région Poitou-Charentes et outre-mer dans le but d'apporter des nouvelles connaissances sur leur écologie et l'évolution de leurs populations, et de contribuer à leur conservation et l'utilisation durable.




Figure 1 - La Charente-Maritime est importante pour la conservation des Hérons. Pour l'Aigrette garzette, le département héberge près de 30 % de la population nationale en 2000 et pour le Héron pourpré 13 %. Environ la moitié des Hérons pourprés du département (une espèce fragile au plan européen) nichent dans un bois directement menacé par l'Autoroute. Ce suivi est effectué par Michel Caupenne et Jean Sériot (LPO).



Figure 2 - Les effectifs de busards cendrés dans les 20 000 ha des Marais de Rochefort Nord varient avec l'abondance des campagnols. Cependant l'amplitude des pics de campagnols semble s'estomper avec la diminution de la surface en herbe, 81 % des 20 000 ha en 1986, inférieur à 30 aujourd'hui. La population de ce rapace est peut-être menacée dans ce territoire.
Recherches effectuées par A.?Leroux et V. Bretagnolle.