Février 2001

Texte extrait de notre journal VBA infos n°5

   Les marais de l'Ouest couvrent une superficie d'environ 200 000 hectares dont la moitié se situe en Charente-Maritime. C'est dire si ce sujet intéresse les habitants de notre département. Que l'on soit du Marais poitevin ou du Marais de Rochefort, notre histoire est la même, le sort des deux marais est lié.

         L'actualité 2000 et 2001 nous rappelle sur un air de catastrophes que ces zones restent inondables. Vérité que beaucoup, et parmi eux nos élus grands ou petits, semblent avoir oubliée. Comme on semble avoir oublié qu'en 1816, déjà, le surélevèrent de l'actuelle RN137 mettait en péril l'écoulement des eaux.

         C'est ce que nous rappelle et démontre Yannis SUIRE, étudiant en histoire à Paris-Sorbonne. La thèse qu'il mène traite des relations entre les hommes et l'environnement dans le Marais poitevin de la fin du XVI° au début du XX°siècle.

         Guy MIAUD, pour sa part, se préoccupe du sort de l'Île de Charouin que l'A831 devrait longer.

         L'un et l'autre soulignent l'incohérence et le manque de logique d'une politique autoroutière qu'Henri MEDION dénonçait pour le Marais de Rochefort dans le même volet de cette étude (VBA infos n°4).

 

LA ROUTE COUPE, LE MARAIS SE REBIFFE, L'EAU MONTE ! 

Le Marais poitevin : 400 ans d'histoire

         Il arrive souvent, lorsque l'on a un problème épineux à régler, que l'on cherche à se renseigner sur la façon dont une question analogue a été résolue. C'est le constat que l'on peut faire lorsque l'on se penche sur l'histoire du Marais poitevin. Depuis quatre siècles, le Marais a en effet été agité par une foule de débats et autres polémiques les plus virulentes, à propos de ses aménagements et de sa gestion. Avec l'A831, il en est de même en l'an 2000. Ces quelques lignes ne visent pas à retracer in extenso l'histoire du Marais poitevin, trop riche pour être résumé en peu de mots, Il s'agit seulement pour nous de nous souvenir de ce qui s'est déjà passé et dit dans ce beau Marais lorsque de grands travaux y ont été effectués.

L'histoire du Marais Poitevin et celle du Marais de Rochefort se rejoignent

         Pour mémoire, rappelons seulement les grandes étapes de l'aménagement du Marais poitevin: sorti des guerres de Religion qui ont ruiné l’œuvre des grandes abbayes médiévales, le Marais suscite l'intérêt de riches investisseurs à partir du début du XVII° siècle. Négociants ou administrateurs de La Rochelle, Fontenay-le-Comte, Poitiers ou Paris, ces personnages fondent alors plusieurs sociétés d'assèchement afin de mettre ces terrains en valeur. Ils y parviennent en partie, mais à quel prix : les sommes immenses englouties alors ne suffisent pas à empêcher la nature de se réveiller régulièrement, et aux inondations d'envahir les champs de blé et de détruire les habitations. Le XVIII° siècle est fait de ces catastrophes qui engendre chez les hommes crises et conflits d'intérêts parfois graves. A partir de 1815, une nouvelle phase de travaux est lancée pour tenter de remédier à ces problèmes persistants. On essaie notamment de facilité l'écoulement de l'eau dans cette partie de marais restée sous les eaux depuis le XVII° siècle, et qu'on appelle "marais mouillé" (par opposition aux marais desséchés, cultivés grâce aux sociétés qui les gèrent mais toujours sous la menace des ruptures de digues).

Le remède est parfois pire que le mal; la voix de la raison se fera-t-elle entendre?

         C'est ici que se situe notre propos. Car malgré ces nouveaux travaux, les inondations continuent à se perpétrer tout au long du XIX° siècle et inversement, en accélérant l'écoulement des eaux, l'homme a provoqué de graves sécheresses en été dont il est la première victime. Face à cette rupture de l'équilibre fragile du Marais, certains tentent alors de prévenir les gouvernants des risques que tous encourent face aux grands travaux projetés. Une telle polémique se développe à partir de 1816 lorsque l'on décide de surélever la route Bordeaux/Saint-Malo passant par Marans, l'actuelle RN137, afin de la protéger des crues à nouveau, l'homme prétend pouvoir dompter la nature et se passer de ses sages avertissements. Certaines voix préviennent alors des dangers d'une telle opération: en élevant ainsi une immense barrière coupant le Marais poitevin du Nord au Sud, on risquait ainsi en effet de bloquer l'écoulement naturel des eaux qui, comme chacun le sait (pas assez pour certains) s'effectue d'Est en Ouest dans nos contrées. Le directeur de la Société des marais de Taugon fait part de ses inquiétudes au directeur de la Société de Vix-Maillezais, dans une lettre du 17 mars 1818 : "Le surhaussement du chemin serait la perte de nos marais ou nous mettrait dans le cas de faire des dépenses considérables",assure-t-il.

La nature ne cesse de se mêler au débat : une longue histoire d'inondations!

         D'ailleurs, de telles inquiétudes semblent confirmées par les événements de ce même mois de mars 1818 : de fortes crues menacent en effet de submerger les digues. Le directeur de la Société Vix-Maillezais va consulter les anciens de la région pour comprendre les causes de cette catastrophe: "Tous se sont accorder à nous assurer que la hauteur extraordinaire des eaux résulte de l'exhaussement qui a eu lieu l'été dernier d'une partie de la grande route de Marans, que par l'effet de cet exhaussement les eaux étant plus resserrées dans la partie inférieure, s'écoulent avec moins de rapidité. Les fortes crues passent maintenant sur la grande route. L'exhaussement de cette partie de grande route produira l'effet d'une digue". Le 12 mai suivant, le maire de Marans lui-même se range à cet avis dans une lettre au préfet de Charente-Inférieure : "L'intérêt de mon pays, les devoirs de ma place me prescrivent de m'opposer à l'exécution de travaux que les hommes les plus indifférents à la prospérité de la contrée jugent d'avance qu'ils entraîneront la ruine du commerce et des dessèchements"...

200 ans plus tard: l'histoire va-t-elle se répéter?

         En conclusion, selon les habitants du Marais, ceux qui le connaissent le plus, il était nécessaire d'arrêter les projets d'exhaussement de la route de Marans, véritable barrière sur le chemin des eaux dans le Marais poitevin. Près de deux siècles après, la même question nous est posée : la nature acceptera-t-elle sans réagir une nouvelle barrière empêchant l'écoulement naturel des eaux du Marais poitevin et de Rochefort?

L'histoire nous permet d'en douter...

Yannis SUIRE